dimanche 21 janvier 2018

Les Meilleurs Ennemis

Olivier Legrand

Comment concevoir vos méchants, entre autres pour Impérium, dans les règles de l’art.

Comme le disait un célèbre cinéaste : « Une bonne histoire, c’est d’abord un bon méchant... ». L’univers d’Imperium ne déroge pas à cette règle de base. Que serait Dune sans le Baron Harkonnen, Feyd-Rautha ou Piter de Vries ? Tout bon meneur de jeu devra veiller à ce que sa chronique soit, elle aussi, dotée de quelques « grands méchants » mémorables, dangereux et hauts en couleur.

En termes de jeu, de tels personnages devront être aussi détaillés que les héros dont ils sont destinés à devenir les ennemis. Comme eux, et contrairement aux simples seconds rôles, ils pourront posséder des points de Karama et même progresser au fil de la chronique. Mais l’attribut le plus important d’un ennemi de grande envergure ne peut être quantifié en termes techniques. Ce qui distingue avant tout un grand méchant digne de ce nom du commun des mortels, c’est sa personnalité. Pour élaborer cette personnalité, un meneur de jeu dispose de plusieurs possibilités, suivant qu’il souhaite créer un méchant prêt-à-jouer ou, au contraire, un ennemi taillé sur mesure pour les personnages de ses joueurs…

Personnages Transposés

Pour élaborer un méchant prêt-à-l’emploi, l’approche la plus simple consiste à s’inspirer d’un personnage tiré d’une œuvre étrangère au cycle de Dune. A cet égard, le cinéma constitue une source quasi-inépuisable de méchants grandioses. On pourrait ainsi convertir sans trop de difficulté Hannibal Lecter en Mentat Déviant, la Catherine de Médicis de La Reine Margot en Bene Gesserit manipulatrice ou le Commode de Gladiator en jeune héritier d’une puissante Maison noble...

Côté littérature, le meneur de jeu dispose de sources d’inspiration extrêmement diverses. Comme par exemple Le Sang des Borgia, de Mario Puzo (l’auteur du Parrain), roman historique explorant les machinations et les turpitudes de la célèbre famille. Ou, pour rester dans la sphère du Space Opera, le cycle des Princes Démons de Jack Vance, dont chaque tome est consacré à un des cinq plus grands criminels mégalomanes de l’Oecumène, une société interstellaire regroupant des myriades de mondes...

Dans un autre genre, les tragédies de Shakespeare constituent aussi une excellente source d’inspiration. Des figures ténébreuses comme Richard III, Macbeth ou Iago (le traître dans Othello) pouvant facilement être transposées dans un univers comme celui d’Imperium. Dans ce domaine comme dans beaucoup d’autres, les sources d’inspiration peuvent parfois se cacher là où on ne les attend pas du tout. Il est ainsi possible de recycler d’innombrables personnages issus de films, de livres ou de séries télévisées, comme l’illustre l’exemple détaillé à la fin de cet article.

Le Principe de Moriarty

Les méchants sur mesure, quant à eux, peuvent être élaborés suivant le principe de Moriarty, ainsi nommé en hommage au célèbre adversaire de Sherlock Holmes. Ce principe consiste tout simplement à construire l’ennemi comme l’antithèse vivante, le double malfaisant ou le reflet déformé d’un personnage joueur. Pour reprendre nos trois exemples tirés de Dune, chacun d’entre eux peut être défini comme le double ténébreux de l’un des principaux personnages de la Maison Atreides : le Baron Harkonnen s’oppose au Duc Leto, Feyd-Rautha à Paul et Piter de Vries à Thufir Hawat. Leurs positions sociales et leurs attributions sont similaires (seigneur contre seigneur, héritier contre héritier, mentat contre mentat), tandis que leurs personnalités se définissent comme de parfaits contraires. Ainsi, le Duc Leto est aussi honorable et humain que le Baron Harkonnen est avide et cruel ; la détermination et la noblesse de Paul s’opposent à la vanité et à la perversité de Feyd-Rautha ; quant à Piter de Vries, son narcissisme et sa perfidie contrastent totalement avec la loyauté et la modestie austère d’un Thufir Hawat.

Le principe de Moriarty s’avère particulièrement bien adapté au Jeu des Maisons, dont la dynamique encourage naturellement les rivalités entre individus occupant les mêmes fonctions au sein de Maisons ennemies ou simplement concurrentes (Mentat, Maître Assassin, Maître d’Armes, etc). Comme dans le roman de Frank Herbert et dans d’innombrables récits, toute rencontre entre un héros et son ennemi devra constituer un moment fort - jusqu’à la confrontation finale et décisive.

Un autre aspect particulièrement intéressant du principe de Moriarty est qu’il permet aux joueurs de contribuer (à leur insu !) à la conception de la chronique. Dès la création de leurs personnages : en définissant le rôle, le caractère et les motivations de son personnage, un joueur offre au meneur de jeu de précieuses pistes pour imaginer et développer la personnalité du futur ennemi...

Muad’dib contre 007

Pour finir, je vous propose d’examiner un petit exemple de transposition de personnages dans l’univers de Dune. Afin de mieux illustrer mon propos, j’ai délibérément choisi de partir d’un film qui n’a, à première vue, absolument rien à voir avec l’univers de Dune : Le Monde ne Suffit Pas, un des derniers James Bond (celui avec Sophie Marceau). Ce film met en scène un « couple infernal » de méchants, formé par Renard, un ancien terroriste reconverti dans le crime international, et sa maîtresse Elektra King, richissime héritière d’un empire pétrolier. Renard est un individu très perturbé, rendu insensible à la douleur et condamné à court terme par la balle qui est restée logée quelque part dans son cerveau. Amants et associés secrets, Renard et Elektra King vont ourdir une sombre affaire de chantage économique international, ayant pour objectif le contrôle total d’un faramineux gisement de pétrole découvert dans la région du Caucase... Voilà pour le tableau initial.

Convertis à l’univers de Dune, ces divers éléments peuvent constituer la base d’une passionnante série de scénarios : Renard peut devenir un Maître-Assassin ayant décidé de servir ses propres intérêts. Les effets de sa blessure peuvent être remplacés par ceux d’une drogue quelconque (peut-être même par le Mélange) ou par une tare d’origine génétique, causée par quelque expérience du Bene Gesserit. Cet avatar dunien de Renard serait-il, à l’instar du Comte Fenring, un « kwisatz haderach raté » ? De son côté, Elektra King devient évidemment la dirigeante d’une puissante Maison du Landsraad. La région du Caucase se transforme en fief planétaire et le gisement de pétrole en quelques précieux minerais... à moins qu’il ne s’agisse tout simplement d’Epice : dans ce cas, l’intrigue se retrouve transposée sur Arrakis. Renard devient un maître-contrebandier ou, pourquoi pas, un renégat Fremen ayant trahi les siens pour s’associer à la Maison d’Elektra King, afin de lui permettre de contrôler en sous-main un immense gisement secret d’Epice, à l’insu des autorités impériales et de la Maison gouvernant Arrakis...